Mince alors, il pleut encore. Voilà ce que je me suis dit en cet après-midi de congé. J’en ai profité pour faire une bonne sieste pendant que ma fille de deux ans et demi faisait la sienne. A son réveil, nous avons goûté, lu et joué ensemble pendant des heures. D’autres auront saisi l’occasion du pont de l’Ascension pour partir quelques jours en vadrouille histoire de se changer les idées et de combattre le stress de la vie quotidienne.
A environ 3000 km à vol d’oiseau de la Suisse, des personnes comme vous et moi se seront dit “zut alors, il pleut encore des bombes aujourd’hui et nous n’avons rien à manger depuis des mois. C’est pas de chance.” Ils auront vu leurs enfants mourir de faim, de maladie ou simplement déchiquetés par la violence des attaques répétées et incessantes de l’armée de l’Etat d’Israël contre un peuple sans défense. Je dis bien un peuple, car on prive des millions de personnes du droit de se constituer en Etat et par conséquent de se défendre légitimement, avec ses propres institutions et la reconnaissance internationale de sa souveraineté nationale. Pendant ce temps-là, la plupart des Etats et des dirigeants des grandes puissances occidentales font semblant de ne rien savoir, de ne rien voir.
Il aura fallu plus d’une année et demi d’atrocités commises par un Etat militarisé jusqu’aux dents et soutenu par la grande puissance militaire étasunienne, plus de 53’000 morts et l’alerte lancée par Tom Fletcher au sujet de 14’000 bébés palestiniens vivant dans la bande de Gaza, en danger de mort par manque de nourriture, pour que la communauté internationale daigne bouger le petit doigt et se dise quelque peu froissée par “la violence disproportionnée” de l’Etat d’Israël envers des civils.
Bien sûr, il n’est pas question de parler de génocide. Critiquer l’état hébreu reviendrait à se ranger du côté du Hamas, ou pire encore, à être antisémite. Et c’est là qu’intervient la grande fabrique de l’ignorance et les discours simplistes et manichéens qui fleurissent abondamment en politique et dans les médias. Antisionisme ne signifie pas antisémitisme et il n’est guère nécessaire de remettre en question l’existence de l’Etat d’Israël pour s’opposer au génocide qu’il mène sans vergogne (et aux territoires occupés illégalement). Traiter Benjamin Netanyahu et les membres de son gouvernement de criminels de guerre n’est pas souhaiter la mort des juifs ni le retour triomphal des nazis. On peut être juif sans être sioniste, sioniste sans être juif… On semble aujourd’hui accorder plus de crédibilité aux narrations délirantes des grands narcisses contemporains qu’aux discours sensés des personnes ordinaires. Cela revient à donner la priorité aux intérêts des puissants de ce monde qui ne se gênent pas pour tout saccager plutôt qu’au bien commun.
Comment peut-on d’un côté critiquer si vivement le gouvernement russe, lui imposer des sanctions à tous les niveaux et ne pas remettre en question le rôle joué par l’OTAN (et donc par les Etats-Unis) dans le conflit russo-ukrainien et d’un autre ne rien dire et ne rien faire contre un Etat surpuissant qui se permet de massacrer des dizaines de milliers de civils et de déporter des centaines de milliers de personne pour faire de Gaza un “resort” géant ? Comment se fait-il que l’Union européenne et la Suisse ne mettent pas fin aux activités commerciales (dont l’exportation de matériel militaire) avec l’Etat d’Israël et ne coupe tout lien diplomatique avec lui ? Sommes-nous définitivement devenus les petits chiens chiens dociles des oligarques étasuniens et des puissants de ce monde ? Avons-nous donc perdu toute forme de décence, de courage et d’esprit critique pour tolérer l’extermination de nos frères et soeurs palestiniens ? Que dirions-nous et comment nous sentirions-nous si c’était nos enfants, nos femmes, nos maris, nos parents et nos amis qu’on massacrait jour après jour sans pouvoir rien faire ?
L’Union européenne et l’Occident en général ne sont plus en mesure de donner des leçons de savoir-vivre au reste du monde alors qu’ils ferment les yeux sur les atrocités commises par Israël avec la bénédiction des Etats-Unis. Il suffit de constater que la plupart des pays non-occidentaux n’ont pris aucune mesure contre la Russie pour se rendre compte que plus personne ne croit en notre prétendue supériorité morale. J’entends déjà ricaner quelques individus à la lecture de ses lignes. “En voilà un pro-russe, un pro-Poutine”, se disent-ils, comme si le fait de ne pas s’adonner à une vision hollywoodienne du monde faisait de nous des “ceci” ou des “cela”.
Nous vivons assurément une véritable période de décadence morale et une montée fulgurante de l’extrême droite dans le monde. L’une et l’autre vont de pair. Les jours à venir ne s’annoncent pas particulièrement lumineux et si nous ne voulons pas revivre des événements tragiques similaires à ceux du XXème siècle, il est urgent de remettre la lutte des classes au goût du jour. Car ne nous trompons pas, ce ne sont pas les étrangers, ni les vieillards, ni les gays ni les fainéants et encore moins les pauvres qui mettent en danger l’humanité toute entière, ce sont les puissants, les super riches, ceux qui veulent à tout prix se remplir les poches avant de quitter le navire qui coule, au détriment de l’environnement, du climat, des générations à venir et de ce qui fait de nous des humains, la décence ordinaire et le respect de la vie. Honte à eux surtout, mais honte à nous aussi si nous les laissons agir à leur guise car il n’est pas trop tard, mais un jour il le sera certainement.
Pablo Valencia

